L’article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires modifié récemment[1] prévoit, en faveur des (anciens) fonctionnaires et des (anciens) agents contractuels, une garantie de protection à l’occasion de leurs fonctions.
La loi prévoit les hypothèses où l’employeur public doit accorder sa protection à l’agent public (§1). Le contenu de cette obligation est déterminée par la jurisprudence (§2).
[1] Article 73 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance
Les hypothèses où l’employeur public est tenu d’accorder sa protection à l’agent public
L’article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires modifiée prévoit trois hypothèses :
- Lorsque l’agent public est poursuivi par un tiers pour faute de service ;
- Lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales ;
- Lorsque l’agent public est victime d’atteintes à l’intégrité de la personne, de violences, de harcèlement, de menaces, d’injures, de diffamations ou d’outrages
A. La protection en cas de faute de service
Selon l’article 11 II de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires modifiée :
« Sauf en cas de faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la responsabilité civile du fonctionnaire ne peut être engagée par un tiers devant les juridictions judiciaires pour une faute commise dans l’exercice de ses fonctions.
Lorsque le fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable au fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ».
Si un agent public est condamné civilement pour un dommage qui trouve son origine exclusivement dans une faute de service, l’administration est tenue de le couvrir intégralement. Il peut arriver qu’un agent ait été poursuivi par une victime et condamné par le juge judiciaire à verser des dommages-intérêts sur le fondement d’une faute de service, la personne publique doit supporter dans son intégralité la charge de cette indemnisation.
Si une faute personnelle a conjugué ses effets avec ceux d’une faute de service distincte, l’administration n’est tenue de couvrir l’agent que pour la part imputable à cette faute de service.
Lorsque le dommage provient exclusivement d’une faute personnelle, détachable de l’exercice des fonctions, l’agent ne peut pas obtenir la protection de l’administration. Par exemple, le gendarme qui fait usage de son arme de service pour un motif passionnel et qui, pour se venger, commet une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service[1].
[1] CE, 12 mars 1975, Pothier
Distinction faute de service et faute personnelle :
La faute de service ne se détache pas de l’exercice des fonctions. Il est donc plus simple de définir une faute personnelle pour en déduire ce qu’est une faute de service.
Il y a faute personnelle dans trois hypothèses :
- lorsque la faute est commise en dehors du service et peut être considérée comme concernant la vie privée de l’agent dans la mesure où elle est dépourvue de tout lien avec le service ;
- dans l’exercice des fonctions lorsqu’elle est intentionnelle (malveillance, vengeance) ou d’une extrême gravité (négligences ou imprudences inadmissibles, brutalités, excès de langage …), elle est considérée comme détachable des fonctions ;
- commise en dehors des fonctions tout en étant « non dépourvue de tout lien avec le service » (exemple : accident provoqué par un agent avec une arme à feu du service qu’il conserve régulièrement à son domicile).
Pour un exemple récent de refus d’attribution de la protection fonctionnelle en cas de faute personnelle : faute reprochée à un magistrat qui, à l’issue d’une audience correctionnelle, a fait modifier par le greffier la note d’audience, pour y faire figurer des citations directes qui n’avaient pas été enregistrées ni régulièrement appelées à l’audience. Il s’agissait donc d’une faute commise par un agent public qui, eu égard à sa nature, aux conditions dans lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci, est d’une particulière gravité, c’est la raison pour laquelle elle constitue une faute personnelle justifiant que la protection fonctionnelle soit refusée[1].
Dans les autres hypothèses, il s’agira d’une faute de service et l’employeur public devra accorder sa protection à l’agent.
[1] CE, 11 février 2015, n°372359
B. La protection pénale de l’agent public
Selon l’article 11 III de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 précitée :
« Lorsque le fonctionnaire fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. Le fonctionnaire entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. La collectivité publique est également tenue de protéger le fonctionnaire qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ».
Ainsi, la protection fonctionnelle est due par l’employeur public au fonctionnaire qui fait l’objet de poursuites pénales à condition qu’il s’agisse de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions.
Cette protection est aussi due :
– au fonctionnaire entendu comme témoin assisté : le témoin assisté désigne le statut de la personne qui est mise en cause au cours d’une instruction judiciaire, mais à qui il n’est pas directement reproché la commission d’une infraction. Il s’agit d’un statut intermédiaire entre celui de mis en examen et celui de simple témoin ;
– au fonctionnaire placé en garde à vue ou qui se voit proposer une mesure de composition pénale : la composition pénale permet au procureur de proposer une ou plusieurs mesures alternatives aux poursuites à une personne ayant commis certaines infractions. Elle évite d’avoir recours à un procès pénal.
C. La protection contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, le harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages
Selon l’article 11 IV de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 précitée :
« La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».
La protection est obligatoirement accordée si deux conditions sont remplies :
1. Le préjudice doit avoir été subi par l’agent sans qu’il ait commis une faute personnelle : il doit donc s’agir d’une faute de service.
2. L’agent public doit être victime d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, de violences, d’agissements constitutifs de harcèlement, de menaces, d’injures de diffamations ou d’outrages ;
Par exemple, porte atteinte à la réputation d’un agent public, dont la révocation a été jugée illégale, le courrier d’un maire affiché sur la façade de l’immeuble administratif indiquant que la révocation était justifiée pour les nombreux manquements à ses obligations professionnelles (CAA Nantes, 9 juillet 1998, Guyon, n°95NT00537).
Le juge administratif considère que l’imputabilité au service de tentatives de suicide ne constitue pas une menace au sens de l’article 11 de la loi n°83-634 précitée (CE, 21 octobre 2013, Commune de Cannes, n°364098). Mais le harcèlement moral à l’origine des tentatives de suicide peut quant à lui ouvrir droit au bénéfice de la protection fonctionnelle.
S’agissant des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne :
La protection fonctionnelle peut être accordée au conjoint, au concubin, au partenaire lié par un PACS, aux enfants et aux ascendants directes du fonctionnaire, sur leur demande et pour les instances civiles ou pénales qu’ils engagent contre les auteurs de ces atteintes dont ils sont victimes eux-mêmes (article 11 V alinéa 1 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 précitée).
En outre, la protection fonctionnelle peut être accordée, à leur demande, au conjoint, au concubin, au partenaire lié par un PACS qui engage une instance civile ou pénale contre les auteurs d’atteintes volontaires à la vie du fonctionnaire du fait des fonctions exercées par celui-ci. En l’absence d’une telle action, la protection peut être accordée aux enfants ou, à défaut, aux ascendants directs du fonctionnaire qui engagent une telle procédure contentieuse (article 11 V alinéa 2 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 précitée).
S’agissant du harcèlement moral ou sexuel :
L’octroi de la protection fonctionnelle entraîne l’obligation pour l’administration, dès qu’elle a connaissance des faits de harcèlement, de mettre en œuvre, sans délai, tous les moyens de nature à faire cesser ces agissements : admonestation au harceleur, organisation d’une réunion entre les agents concernés, soutien moral à la victime, engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre de l’auteur de harcèlement, éloignement de l’agent victime et rétablissement de ses droits s’il en a été privé …
Elle pourra également, le cas échéant, faire bénéficier l’agent d’une assistance juridique, de la prise en charge des frais d’avocats et des frais de procédure, s’il souhaite poursuivre l’auteur des faits en justice, aux fins d’obtenir réparation de son préjudice et la condamnation de l’auteur des agissements.
Depuis 2011, le juge administratif procède à un raisonnement en trois temps pour juger si les agissements allégués sont constitutifs de harcèlement moral : l’agent doit faire naître une présomption de harcèlement, l’employeur doit renverser cette présomption et le juge prend position au vu de cet échange contradictoire. La jurisprudence administrative révèle trois situations de harcèlement moral du fonctionnaire : les attaques émanant des usagers, le conflit entre agents et l’abus de pouvoir hiérarchique (CE, 11 juillet 2011, n°321225).
Le contenu de l’obligation de protection
Dès lors que les conditions d’octroi de la protection sont réunies, l’administration doit donc, d’une part, prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux attaques dont est victime son agent et, d’autre part, réparer le préjudice et les dommages qui en résultent « à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire« .
A. Faire cesser les attaques contre l’agent
En l’absence de dispositions spécifiques dans la Loi, la protection fonctionnelle peut prendre des formes très variées :
L’administration peut publier des communiqués de presse, se constituer partie civile, voire exercer des poursuites disciplinaires contre l’auteur des attaques si celui-ci est un agent public (CE, 21 novembre 1980, Daoulas).
L’obligation de protection peut par exemple être satisfaite par la mise en œuvre de mesures de sécurité particulière (CE, 16 novembre 1977, Vincent) ou le déclenchement d’une enquête (CE, 27 janvier 1989, Chavant).
Sur le plan juridictionnel, l’obligation de protection peut être satisfaite par le déclenchement de poursuites pénales, via le dépôt d’une plainte contre l’auteur des attaques.
L’article 11 VI de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 précitée permet en effet à l’administration d’exercer une action directe devant la juridiction pénale par voie de constitution de partie civile. L’administration peut également prêter son concours à l’agent qui, ayant bénéficié d’une décision de non-lieu, exerce une action en dommages et intérêts en vertu de l’article 91 du code de procédure pénale à l’encontre du plaignant, dont la constitution de partie civile a été jugée dilatoire et/ou une action en dénonciation calomnieuse en vertu de l’article 226-10 du code pénal (Cass., crim. 11 mars 2003).
B. Assurer la défense de l’agent
L’administration doit prendre en charge, par exemple, les frais de transport et bien sûr les honoraires de consultation d’avocat pour assurer la défense de l’agent mis en examen.
Les frais d’avocat sont encadrés par le décret n°2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit.
C. Réparer le préjudice subi par l’agent
L’administration DOIT réparer l’intégralité du préjudice matériel et moral subi par l’agent.
Si l’auteur du dommage répare lui-même le préjudice causé, l’administration n’est évidemment plus tenue de réparer.
La victime obtient généralement une indemnisation directe de la part de l’administration, qui, en vertu de l’article 11 VI de la loi n°83-634 précitée est alors subrogée à ses droits pour obtenir de l’auteur du dommage la restitution de la somme versée par l’agent. Le fait que le montant de l’indemnité ne puisse être récupéré, pour des raisons juridiques ou matérielles, ne saurait justifier l’absence de réparation.